Les gens - Edward Bond
Le rideau s’ouvre sur une scène plongée dans une semi-pénombre. Le décor figure un terrain vague. Quatre personnages soliloquant y apparaissent tour à tour et s’y rejoignent sans pouvoir vraiment partager leur histoire. Pour l’un il est question de tuer, pour l’autre de mourir, pour celle-ci de dépouiller les morts et pour celui-là de retrouver la mémoire.
Ce terrain vague sinistre, c’est l’image d’un monde qui, livré aux soldats gangsters, a sombré dans la barbarie et démenti tous les mythes de la civilisation du bonheur vendu par les publicitaires. Il n’y a ici ni bien ni mal, ni bons ni méchants, ni espoir ni désespoir. Il n’y a que des individus livrés à l’incompréhension d’un monde où ils ne survivent que provisoirement. Le texte marmonné, incohérent, revient sans cesse sur lui-même et s’ancre peu à peu dans une tentative désespérée d’échapper à des obsessions délirantes. Si je pouvais m’arracher à cette tombe, je partirais » dit l’un des personnages, mais nul ne peut échapper à la violence et à la mort. Chacun est voué à errer sur cette terre dévastée sans connaitre la direction du chemin.
Désespérance absolue ? Vision de l’Apocalypse ? Il y a pourtant une beauté formelle qui se dégage de cette scène ténébreuse. Un éclairage subtil joue sur des silhouettes sans visage et dessine parfois une sorte de ballet où se détachent des ombres tutélaires, annonciatrices peut-être d’un monde nouveau qui pourrait renaitre de ses anciens décombres.