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Hôtel Europe - Bernard-Henri Lévy

Cet homme, reclus dans la chambre d’un hôtel de Sarajevo en cette nuit de juin 2014, n’est pas un inconnu. Bien qu’il apparaisse sous la corpulence puissante du comédien Jacques Weber, vous l'aurez vite reconnu. Cet homme, c’est BHL lui-même, l’auteur de la pièce, mis en scène par son ami Dino Mustafic.

Il nous invite à préparer avec lui le discours qu'il doit prononcer le lendemain dans une réunion internationale commémorant la déclaration de la guerre de 14-18. Cette commémoration d’un genre nouveau — on avait plutôt l’habitude de célébrer les armistices — lui fournit l’occasion de nous livrer quelques réflexions essentielles sur la conduite des affaires du monde, de l’Europe et de la France, pays qui, comme chacun le sait, est menacé par la peste blonde et les quenelles d’un clown sinistre. Emporté par ses coups de gueule contre l’Europe (qu’il assimile à l’UE) et contre les élites endormies face à la montée des populismes, le personnage-auteur s’adresse aux spectateurs dans une mise en scène assez sommaire. Le recours à l’incontournable projection vidéo, souvent redondante avec les propos du comédien, n’arrange pas les choses. Quant à la scène de bain, sensée donner du rythme à la longue diatribe, elle tourne à la farce grotesque lorsque le pauvre Weber, plongé tout habillé dans une baignoire, doit se contorsionner dans une serviette de bain pour renfiler un caleçon sec tout en continuant de débiter son texte où il est question de l’Europe, de Poutine, de la dette abyssale de la Grèce et de Van Rompuy impossible à joindre au téléphone.

Conscient sans doute du caractère pesant de ses dissertations pompeuses, malgré parfois des envolées qui ne manquent pas de panache, l’auteur y mêle quelques souvenirs personnels, Baudelaire, les surréalistes et des petites séquences sexe, indispensables dans une pièce naturaliste : évocation gourmande du beau petit cul de la réceptionniste de l’hôtel, anecdotes croustillantes sur les fantaisies sexuelles de quelques grands la planète, frasques de nos présidents, qui, eux non plus, n’ont jamais été en reste côté libertinage. L’allusion au livre scandaleux d’une ex première dame arrive à point nommé pour lancer un clin d’œil au Président venu en ami ce soir-là assister au spectacle. Tout le monde dans la salle rit de bon cœur. Nous sommes entre gens de bonne compagnie. Mais soyons juste, là n’est pas l’essentiel de la pièce. Son sujet, ou plutôt sa vedette, c’est Europe, la fille d’Agénor, beauté aimée de Zeus. Même si nous sommes avec elle encore un peu dans une histoire de fesses, nous voilà invités à envisager le monde avec la vision d’un poète gonflé d’érudition : l’occident, l’orient, la Grèce, l’Europe, la Bosnie, toutes les frontières du monde se redessinent, les fronts se renversent et la tête nous tourne. Cette interprétation savante des mythes prépare le bouquet final : une litanie tonitruante laissant Jacques Weber presque aphone. Tous les grands penseurs depuis Platon sont convoqués sur scène. Les voilà sommés de prendre en main le destin de l’Europe en lieu et place de commissaires européens trop pleutres. Proposition politique qui ne fâchera personne : tous ces grands hommes sont morts.

Quant aux intellectuels d’aujourd’hui, ils sont aux abonnés absents… ah non, pas tous, il en reste un qui à force de sonner le clairon va finir par se faire remarquer. Ses oracles guerriers tonnent sur la scène de l’Atelier. Tout ça n’est pas du grand théâtre, mais ça tient quand même debout grâce au talent de Jacques Weber et au métier de l’auteur qui a appris à brasser avec brio les idées vasouillardes et les bons sentiments. À défaut de faire date dans l’histoire du théâtre, cette pièce a le mérite de dévoiler en filigrane les liaisons incestueuses qu’un certain microcosme intellectuel entretient avec le pouvoir, et dont BHL, va-t-en-guerre pusillanime, a toujours été l’enfant chéri. À ce titre, cet évènement, à faire figurer en bonne place dans les carnets mondains, mérite d’être mentionné ici.

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