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Particules élémentaires - Houellebecq

Le leitmotiv de cette pièce, c’est l’amour. Non pas l’amour avec un grand A, celui qui unirait deux partenaires dans un bonheur fusionnel, mais l’amour physique, conjugué au masculin et envisagé sous sa forme la plus élémentaire : érection-pénétration-éjaculation. Et, dans le monde ultra libéral où le sexe est devenu, comme le reste, marchandise, malheur à ceux qui bandent mou ou dont la taille du pénis serait en dessous du standard publicitaire. C’est de ces déficiences normatives que semblent souffrir les deux protagonistes de cette histoire, Michel et Bruno, demi-frères et rejetons accidentels de parents hippys qui, en cédant aux sirènes de la libération des mœurs, ont condamné leur progéniture, et toutes les générations à venir, à la misère sexuelle et aux  bricolages sentimentaux. Les choses finiront par s’arranger un peu pour Bruno qui trouvera, sinon l’amour, du moins l’apaisement de ses inhibitions avec une femme qui l’initie aux joies du gangbang dans les clubs échangistes. Quant à Michel, confiné dans son laboratoire, il trouvera le bonheur dans la découverte de théories moléculaires ouvrant la voie à une nouvelle race humaine, débarrassée de l’embarras de la reproduction sexuelle.

Le sujet aurait pu donner matière à une joyeuse gaudriole. Ce n’est pas le cas. La pièce est sombre à souhait. Ce n’est pas seulement une génération privée de vrais désirs qui est montrée ici, c’est une jeunesse sans désir et surtout sans futur, dernière production d’une humanité à bout de souffle. Et si la pièce s’éclaire parfois avec l’apparition de personnages féminins qui ont gardé la nostalgie de l’Amour (celui avec un grand A) et des maternités désirées, c’est pour mieux replonger dans la désespérance en faisant disparaitre ces femmes prématurément, rattrapées par la maladie et la mort qu’elles préfèrent se donner elles-mêmes plutôt que de l’attendre dans une banlieue pourrie en se demandant ce qu’elles ont raté dans leur vie. Il n’est pas question ici de peindre une humanité souffrante et de s’apitoyer sur son sort. Il s’agit de tirer un trait sur le monde engendré par la génération des années permissives, soixante-huitarde et autres, responsables de la décrépitude des temps présents. L’heure est venue pour qu’un homme neuf prenne la place. Les travaux du Michel, le physicien, ont ouvert la voie aux techniques de clonage. L’avènement d’une humanité nouvelle, jeune et belle, dotée de l’immortalité et, cerise sur le gâteau, d’une capacité orgastique sans limites, est désormais possible.

Voici donc un vieux rêve, mainte fois caressé par la littérature, remis au gout du jour. Pourtant ici, ce rêve se charge d’ambigüités. L’humanité future qui nous est promise se présente, dans le tableau final, sous le signe du blanc : blanc de peau comme les jeunes gens alignés sur la scène, blanc fluo comme les sous-vêtements qu’ils portent en étendard, blanc aveuglant comme la lumière qui inonde le plateau. Ces attributs de la pureté, ostensiblement attachés à la race nouvelle, rendent l’allégorie douteuse et renvoient à la personnalité controversée de l’auteur. Cette note finale quelque peu équivoque n’est pas une raison pour bouder cette adaptation du roman de Houellebecq. Conçue à la manière d’un opéra rock, d’une fresque puissante, pleine de bruit et de fureur, émouvante parfois, provocatrice et outrancière, elle prend la dimension d’une épopée tragique et nourrit avec force l’interrogation des générations actuelles sur le monde « si peu pourvu d’autres possibles » dans lequel ils doivent trouver leur voie. Tous les artifices du théâtre d’aujourd’hui : images vidéos, musique live, hors champ, fumigène, sont mis en œuvre pour bâtir un spectacle dynamique, parfois haletant, jamais ennuyeux. Les interviews, les réflexions, délivrées du haut des estrades qui entourent la scène, aident à la compréhension du récit sans jamais écraser le jeu des comédiens qui interprètent les personnages avec beaucoup d’énergie et une grande justesse. Le jeune metteur en scène, Julien Gosselin, signe là une réalisation captivante allant sans doute bien au-delà du roman dont elle est inspirée.

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