Entretien avec Carole Détain
CD – Dans ce roman, vous mêlez avec beaucoup de cohérence les histoires d’amour et les évènements politiques. Comment s’est fait cet assemblage ?
Lorsque j’ai commencé à mettre sur le papier quelques souvenirs des années 68, je n’avais pas l’idée d’écrire un roman. Mais peu à peu, mis bout à bout, ces fragments ont donné corps à une histoire romanesque qui s’articulait autour de deux expériences fondatrices : la journée du 13 mai 68, marquant la naissance de la conscience politique du narrateur, et sa rencontre avec Dora au cours de l’été 69, moment le plus intense dans son apprentissage amoureux.
CD - J’ai perçu la vibration intérieure de quelqu’un qui veut aussi rendre compte de la réalité sociale de son époque ?
Les événements politiques modifient la trajectoire du narrateur sans pour autant le conduire hors de ses propres repères. Son engagement militant est vécu comme une aventure collective sur laquelle il jette un regard critique.
CD - S’engager en politique en 68, n’était-ce pas surtout une façon d’appartenir à un groupe plutôt que de défendre des convictions profondes ? Le narrateur lit Marx, Trotsky, il discute beaucoup de ces sujets, mais vous ne donnez jamais le fond de l’argumentaire ?
Les slogans qui apparaissent à certains moments dans le roman décrivent de façon explicite le substrat idéologique qui rassemblait la jeunesse dans un réel combat contre l’ordre établi. Mais je n’ai pas écrit un livre polémique, j’ai voulu seulement rendre compte de l’état d’esprit qui régnait parmi ceux, nombreux, qui se sont engagés en politique après mai 68.
CD - L’engagement politique apparait dans votre roman comme une sorte d’école où l’on apprend à débattre, à argumenter. Bien parler, c’est une façon d’acquérir du pouvoir ?
Oui, le militantisme est une école où l’on apprend non seulement à parler, mais aussi à structurer sa pensée, à développer ses capacités d’analyse et de synthèse. C’est une véritable formation intellectuelle. Cela a permis d’ailleurs à beaucoup de militants de s’élever ensuite dans la société qu’ils avaient combattue.
CD - Vous ne parlez ni d’angoisses, ni d’échec, ni de souffrances psychologiques. Il y a beaucoup de joie et d’insouciance, mais aussi une certaine exigence morale et intellectuelle ?
Il y avait moins de pression qu’aujourd’hui sur la jeunesse étudiante. Même sans diplôme, on trouvait un travail. Quant à l’exigence morale et intellectuelle du narrateur, elle prend source dans son éducation religieuse. Il a gardé un fond chrétien et adopte sans mal la rigueur du « dogme » marxiste et la droiture du militant.
CD - Le narrateur est un garçon intelligent, à l’aise dans son groupe. Il sait qu’il va s’intégrer sans problème dans la société. Il passe des nuits à discuter, à écouter de la musique. Tout va bien pour lui et les filles qu’il rencontre. Dora va au bal. Est joliment maquillée. Elle a des garçons autour d’elle. Une sexualité joyeuse. Est-ce que c’est possible d’avoir autant de bonheur lorsqu’on a vingt ans ?
Je n’avais pas le sentiment d’avoir décrit l’océan de bonheur que vous évoquez. Mais vous avez raison, les personnages du roman sont heureux. Ils vivent l’esprit libre dans une époque en quête de liberté. Ils intègrent à leurs désirs celui d’une société plus juste, plus fraternelle, et ils luttent pour cela. Ce roman, c’est peut-être une façon de rappeler que ces aspirations sont toujours d’actualité.
*Diplômée de HEC et licenciée en philosophie, Carole Détain a travaillé pendant vingt ans dans le domaine de la finance. Mariée, mère de deux enfants, elle se consacre désormais entièrement à l’écriture. Elle explore une démarche consistant à écrire à partir de sa propre existence, et à vivre également sa vie à partir de son écriture. Carole Détain est l’auteur de : Bac C, À Livernay naissait mon père, D'une fenêtre le ciel, T'inquiète pas maman ! Tous ces ouvrages sont édités chez Edilivre