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L’obscurité a envahi l’alpage (p.134)
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Dehors, l’obscurité a envahi l’alpage. Les sommets découpent une ligne noire dans l’encre bleutée du ciel. Nous faisons quelques pas dans la côte, fuyant les lumières qu’éparpillent dans le noir les réverbères du bourg.

D’autres couples sont là, allongés sur le sol. La pénombre incertaine les dissimule à peine aux regards anonymes qu’on croise dans la nuit. Agnès s’est collée contre moi. Elle s’empare de ma bouche. Nos langues s’engloutissent. Ces baisers soulèvent de nouvelles impatiences. Mes mains dégrafent le corsage, pendant que sa fine culotte s’échappe le long des jambes. Ma compagne s’est allongée dans l’herbe. Je ripe dans la pente entre ses cuisses ouvertes. Dépêche-toi ! Dépêche-toi, me dit-elle. Bientôt mon membre s’enfouit dans l’entaille tendre. Attisée par les glapissements d’une cavale hors d’haleine, la jouissance me soulève, puis m’abat sur le pré, assommé de frissons. À côté, Agnès continue de haleter en silence. L’excitation qui enflammait son ventre se dissipe lentement. Elle ajuste ses vêtements, s’enroule sur moi en mordillant mes lèvres. Nous ne connaissons pas les mots qu’il faut s’offrir après les corps-à-corps urgents. Ma partenaire demande seulement si je me suis retiré à temps. Je la rassure, mais ne suis certain de rien. Tout a été si vite ! Autour de nous, il n’y a plus personne. L’obscurité s’est épaissie et la montagne a été rendue à ses ombres silencieuses. Là-bas, nos camarades terminent leur diner. La séance de nuit va commencer. Nous reprenons la direction des lumières en nous tenant la main, non plus comme des amants heureux, mais comme des enfants apeurés dans le noir, soulagés de retrouver bientôt l’animation de l’auberge. Il règne là l’effervescence précédant les entrées en salle de cours. Nous avons convenu avec Agnès de nous séparer pendant les réunions. Il ne faudrait pas manquer par des distractions frivoles l’éducation que nous sommes venus acquérir ici au prix de sacrifices déraisonnables. Je l’aperçois, assise au premier rang, attentive aux circonvolutions de l’orateur. Elle semble moins émue que moi par le souvenir de nos roulades. Captivée par le ballet des prises de paroles qui, dans la salle, se répondent indéfiniment sans jamais totalement se comprendre, elle ne perd rien des affrontements verbaux, aiguisant son instinct à traquer les dissidences, les déviations ou les simples tiédeurs. Elle va à nouveau m’impressionner par sa capacité à incorporer toutes les subtilités de notre corpus subversif, par son agilité à le digérer, puis à le resservir avec l’aisance et la férocité qui convient aux intraitables championnes de la Révolution.

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