L'été ardent (entretien avec Carol Détain)
Entretien avec Carol Détain* - 26 mars 2014
CD – Dans ce roman, vous mêlez avec beaucoup de cohérence les histoires d’amour et les évènements politiques. Comment s’est fait cet assemblage ?
Lorsque j’ai commencé à mettre sur le papier quelques souvenirs des années 68, je n’avais pas l’idée d’écrire un roman. Mais peu à peu ces fragments ont donné corps à une histoire romanesque articulée autour de deux expériences fondatrices : la journée du 13 mai 68, marquant la naissance de la conscience politique du narrateur, et sa rencontre avec Dora au cours de l’été suivant, moment le plus intense dans son apprentissage amoureux.
CD - Qu’il s’agisse de fictions ou de faits réels, j’ai perçu la vibration intérieure de quelqu’un qui veut aussi rendre compte de la réalité sociale de son époque ?
En 68, les évènements politiques ont traversé la société en profondeur. J’ai décrit l’itinéraire d’un garçon entrainé dans le sillage de ce puissant mouvement social. Il rejoint le mouvement avec enthousiasme sans pourtant perdre ses propres repères.
CD - S’engager en politique en 68, n’était-ce pas simplement le moyen d’appartenir à un groupe et de s’intégrer à l’université ? Le narrateur lit Marx, Trotsky, il discute beaucoup de ces sujets, mais vous ne donnez jamais le fond de l’argumentaire ?
Les slogans qui apparaissent dans le roman décrivent de façon explicite le substrat idéologique qui rassemblait la jeunesse dans un réel combat contre l’ordre établi, mais je n’ai pas écrit un livre polémique. J’ai voulu seulement rendre compte de l’état d’esprit qui régnait parmi ceux, nombreux, qui se sont engagés en politique après mai 68.
CD - S’engager en politique, c’est une sorte d’école où l’on apprend à débattre, à argumenter ? Bien parler c’est une façon d’acquérir du pouvoir ?
Oui, le militantisme est une école où l’on apprend non seulement à parler, mais aussi à développer ses capacités d’analyse et de synthèse. C’est une véritable formation intellectuelle. Cela a permis d’ailleurs à beaucoup de militants de l’époque de s’élever dans la société qu’ils avaient combattue.
CD - Vous ne parlez ni d’angoisses, ni d’échec, ni de souffrances psychologiques. Il y a de la joie, de l’insouciance soutenue par une grande exigence morale et intellectuelle ?
Il y avait moins de pression qu’aujourd’hui sur la jeunesse. Même sans diplôme, on trouvait un travail. Quant à l’exigence morale du narrateur, elle prend source dans son éducation religieuse. Il a gardé un fond chrétien et se plie sans mal à la rigueur du « dogme » marxiste et la droiture du militant.
CD - Le narrateur est un garçon intelligent. Il sait qu’il va s’intégrer sans problème dans la société. Il passe des nuits à discuter, à écouter de la musique. Tout va bien pour lui et les filles qu’il rencontre. Dora est une fille de rêve. Elle a des garçons autour d’elle. Une sexualité joyeuse. Est-ce possible d’avoir autant de bonheur lorsqu’on a vingt ans ?
Je n’avais pas le sentiment d’avoir décrit l’océan de bonheur que vous évoquez. Mais vous avez raison, les personnages du roman sont heureux. Ils vivent l’esprit libre dans une époque avide de liberté. Ils intègrent à leurs désirs celui d’une société plus juste, plus fraternelle, et ils luttent pour cela. Ce roman, c’est peut-être une façon de rappeler que ces aspirations sont toujours d’actualité.
*Diplômée de HEC et licenciée en philosophie, Carole Détain a travaillé pendant vingt ans dans le domaine de la finance. Mariée, mère de deux enfants, elle se consacre désormais entièrement à l’écriture. Elle explore une démarche consistant à écrire à partir de sa propre existence, et à vivre également sa vie à partir de son écriture. Carole Détain est l’auteur de : Bac C, À Livernay naissait mon père, D'une fenêtre le ciel, T'inquiète pas maman ! Tous ces ouvrages sont édités chez Edilivre