Allan, je le rencontre aux réunions des responsables de secteur. Des circonstances peu propices aux relations personnelles. Les ordres du jour s’épuisent tard dans la nuit et nous n’avons guère envie de prolonger les séances pour entretenir des amitiés particulières. Mes échanges avec ce camarade se sont longtemps cantonnés au strict nécessaire requis par nos activités militantes. J’avais même à son égard une sorte de prévention. C’est son allure « hippie » qui me gênait. Je la trouvais peu compatible avec la ligne du Parti qui, sans aller jusqu’à codifier nos façons de vivre, n’encourage pas, loin de là, les attitudes marginales ou anticonformistes. Mais il y a quelque temps, nous avons eu l’occasion d’évoquer nos origines paysannes et ce coin perdu entre Lorraine et Champagne où nous avons passé l’un et l’autre notre enfance. Ces marques identitaires nous ont rapprochés et nous ne manquons pas maintenant, chaque fois que nous nous rencontrons, de parler du pays.
C’est là que nous passons nos vacances, chacun dans nos familles. L’occasion de nous retrouver dans un de nos villages, pourtant proches l’un de l’autre, ne s’était jamais encore présentée. Il est vrai que mon travail à la ferme me laisse peu de temps pour faire des visites et je ne peux pas recevoir des amis à la maison aussi librement que je le souhaiterais. Alors, je ne lance ni ne reçois d’invitations. Je ne m’attendais pas à ce qu’Allan me téléphone hier pour m’inviter à venir passer le week-end chez lui. Il m’avait bien, une fois, vaguement parlé de la bamboche qu’il faisait avec ses copains le jour de la fête de son village, mais je n’aurais jamais pensé qu’il y inviterait des membres du Parti.
« Ce sera le cas cette année, m’a-t-il dit. Il y aura les amis du village, quelques camarades de fac, et j’ai aussi pensé à toi puisque tu habites si près… et que nous sommes à présent si bien réconciliés ! »
L’ironie de sa dernière remarque voulait sans doute me rappeler qu’il n’avait pas oublié la défiance que j’avais eue à son égard au début de notre rencontre, mais qu’il ne m’en tenait pas rigueur. Sans hésiter, je l’ai assuré de ma venue, heureux d’échapper un moment aux travaux agricoles, curieux aussi de connaitre les amis qu’il avait bien pu se faire au fond de sa cambrousse.