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L’homme au fusil à pompe
novembre 2013
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À la télé on ne parlait que du type qui se baladait dans Paris en survêt vert avec un fusil à pompe dissimulé dans son sac à dos. Il avait déjà flingué un journaliste rencontré au hasard dans les locaux de Libération. Le pronostic vital était engagé, ce n’était donc pas de la rigolade. Il y avait grand émoi dans les esprits et les médias entraient en ébullition. Oser s’attaquer à l’un d’entre eux, c’était plus qu’un homicide, c’était un attentat contre un des fondements de la démocratie. Le président lui-même, du lointain Proche-Orient où il jouait les commis voyageurs, s’était fendu d’une déclaration solennelle et en avait profité pour en appeler carrément à l’unité nationale, espérant ainsi conjurer sa dégringolade dans les sondages. Le fringant ministre de l’Intérieur, galvanisé par le brillant avenir qui lui était promis, s’était montré devant les caméras, guilleret et martial, jurant qu’il mettrait tous les flics de France aux trousses du dangereux terroriste.

Inutile de dire que les Parisiens avaient les foies et ils auraient préféré rester chez eux plutôt que de s’entasser comme d’habitude dans un métro bondé comme celui dans lequel je m’étais embarqué sur les coups de 18 h. Selon les dernières dépêches, l’homme au survet vert et au fusil à pompe aurait été aperçu dans une station de métro, mais la presse n’avait pas révélé laquelle. On imagine pourquoi. Inutile de dire que dans la rame l’ambiance était lourde et le silence pesant. Chacun scrutant son voisin immédiat pour vérifier qu’il ne dissimulait pas dans un sac ou sous ses vêtements un objet ressemblant à un flingue ou quelque chose du genre.

Bien que tout le monde comprenait qu’on n’avait pas affaire à un complot ourdi contre les institutions, mais à un déséquilibré qui avait momentanément échappé à la vigilance d’un service psychiatrique, le danger n’en était pas moins grand et la surréaction habituelle des autorités politiques en pareilles circonstances ne changeait rien au fait qu’objectivement un type prêt à jouer au ball-trap se promenait dans Paris. Et les balles engagées dans le canon de son fusil à pompe n’étaient pas des balles à blanc.

Il était donc urgent que la police mette la main rapidement sur ce type. Et il était tout aussi urgent que le feuilleton politique qu’il avait déclenché prenne fin. L’emballement des médias, la « chasse à l’homme » qu’elles mettaient en scène à force d’images d’archives, soulignait en creux le caractère délétère de la situation politique. Les mécontentements montaient de toutes parts contre le pouvoir et les institutions. Il fallait à chaque instant jeter en pâture au peuple excédé de nouvelles victimes et de nouveaux coupables. Les haines et les rancœurs fermentaient dans les esprits contre un pouvoir détesté. Le type en survêt vert et au fusil à pompe dégommant un journaliste pouvait vite devenir cet ennemi public ou bien, malgré la peur qu’il inspirait aux voyageurs du métro, le symbole d’une lutte radicale contre le pouvoir et les institutions. Un fou échappé d’un asile allait-il devenir le héros d’un peuple poussé à bout ? Les hommes politiques de tous bords ont senti le danger et, après être montés au front pour dénoncer en cœur l’atteinte gravissime perpétrée par le meurtrier contre les libertés fondamentales et la démocratie, se sont faits plus discrets en priant Dieu que la police le retrouve au plus vite et qu’on ne parle plus de cette affaire.

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